Le métier disparu du scieur de long
- rfbiotiques
- 31 juil. 2020
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Collaboration spéciale
Texte par: Jean-Pierre Malo, historien régional
Le bois est un matériau noble qui a nourri les Québécois depuis leur arrivée en Nouvelle-France. Le régime seigneurial d'avant 1850 obligeait le Seigneur à bâtir près d'un cours d'eau un moulin à farine pour ses censitaires qui cultivaient blé ou sarrasin. Mais il n'était pas rare qu'un moulin à scie soit construit sur la rive opposée au moulin à farine pour profiter du pouvoir d'eau. Le commerce du bois remplacera celui des fourrures dès le début du XIXe siècle. En grande partie dominées par l'élite anglophone au XIXe siècle, l'exploitation forestière et l'exportation des bois à l'Angleterre et son empire dont principalement le pin équarri, sortira toutefois la population québécoise de la misère engendrée par le pauvre rendement des terres et les troubles politiques. En parallèle au moulin à scie, le métier de scieur de long valorisé de la Nouvelle-France jusqu'au XXe siècle, était affaire de gaillards compétents.
Un nommé Jean Hayet dit Malo dès 1672 à l'île Sainte-Thérèse entre la Pointe-aux-Trembles et Varennes pratiquait le dur métier de scieur de long devant produire des planches ou des madriers. À force de bras, le scieur de long fournira le bois nécessaire à la construction de maisons, meubles ou bateaux comme celui de René-Robert Cavelier de LaSalle, parcourant le fleuve Mississippi jusqu'à la mer du sud pour fonder la Louisiane en l'honneur du roi de France, Louis XIV.
Mais il fallait deux hommes au moins pour scier des billots de 12 pieds coupés aux extrémités à l'aide du passe-partout ou godendard bien effilé. Une longue scie était intégrée au centre d'un cadre fait de bois léger; à une extrémité du cadre, une poignée en bois dur devait servir à un des deux scieurs. Il fallait d'abord construire un tréteau appelé chèvre pour recevoir le billot en longueur. Un tronc d'arbre équarri à la hache était bien planté en terre alors que l'autre extrémité, relevée à hauteur d'homme, était maintenue en place à l'aide de deux pieux obliques. Puis, on roulait le billot sur le tronc d'arbre et on l'attachait avec des chaînes dans sa partie inférieure. Des lignes droites étaient tracées sur le billot à l'aide de cendres ou de suie pour bien marquer la largeur des planches.
Un des deux scieurs de long s'installait en équilibre sur le haut du billot chaussé de souliers cloutés; on l'appelait le chevrier. Un autre scieur de long s'installait sous le billot; on l'appelait le renardier. La scie à cadre ou niargue bien enduite de graisse de porc allait suivre les lignes droites tracées sur le billot dans un mouvement incessant de haut en bas. Le chevrier sur le billot tirait la scie vers le haut, mais c'est le renardier tout en bas qui suait à grosses gouttes en sciant vers le bas. Quand la moitié du billot était scié, on le virait de bord pour compléter le sciage jusqu'à ce que les traits se rejoignent à quelques millimètres près. Puis on enlevait les chaînes qui retenaient le billot au tronc d'arbres et en tombant par terre, les planches du billot encore ensemble se séparaient d'elles-mêmes.
C'est le chevrier tout en haut du billot qui assurait un sciage bien droit pendant que le renardier recevait le bran de scie ou la sciure sur son large chapeau de feutre. En 12 ou 15 heures, les scieurs de long pouvaient produire 20 planches de 12 pieds de long par six pouces de large.
Tous n'étaient pas scieurs de bois, mais quiconque sur sa ferme avait du bois deboutte était riche d'une ressource dont personne ne pouvait se passer. Le scieur de long, en permanence au village ou sur la route, avait le plus beau et le plus précieux métier du monde, mais aussi le plus dur.
Si aujourd'hui le métier de scieur de long a été remplacé par la machinerie, le bois léger ou dur de l'agriculteur respectueux n'a jamais perdu de sa valeur et de son utilité.

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